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Un herbier passionné de rencontres insolites, de flâneries dans l’histoire du pays et d’explorations de son patrimoine culturel.

Le bijoutier tamoul

 

« Ou pou trouv de tamarinier ». C’est notre point de repère. Effectivement, la maison est flanquée de deux tamariniers d’une très respectable hauteur, totalement indifférents à la fumée des pots d’échappements. Nous venons rencontrer monsieur Patten, un artisan bijoutier, aujourd’hui à la retraite.

Cette maison, il l’a achetée juste après les bagarres raciales. Il l’aimait beaucoup et avait fait une offre, mais le propriétaire musulman refusait de la lui vendre au prix proposé. Quelques mois plus tard, les émeutiers ont mis le feu à sa maison. « Linn bizin sove ale ». Il a dû partir et se résoudre à la vendre. Monsieur Patten se rappelle encore bien de cette époque. La tension était forte dans Port-Louis et l’atelier de bijouterie de la rue Etienne Pellereau a dû fermer ses portes pendant une semaine. Ce fut l’unique fois où son atelier est resté fermé durant si longtemps.Et pour nous, c’est bien la première fois que la conversation commence par l’un des moments les plus tabous de notre histoire.

Monsieur Patten a travaillé dans un atelier de bijouterie de ses 9 ans à ses 72 ans. Soixante-trois ans penché sur ses outils, soixante-trois ans à travailler l’or et l’argent, soixante-trois ans à créer des œuvres magnifiques pour orner le cou, les poignets et les oreilles des beautés mauriciennes.

 

Enfant, monsieur Patten était doué à l’école. Il a même obtenu la petite bourse en 6ème. Mais le décès de son père l’a forcé à arrêter l’école précipitamment. Il a fallu commencer à travailler pour nourrir la famille. Quitter le chemin de l’école pour prendre celui d’un atelier de bijouterie à Port-Louis.Qu’est-ce qui peut bien se passer dans la tête d’un enfant qui doit arrêter d’aller à l’école à 9 ans, suite au décès d’un parent, pour se mettre à travailler? De ses sentiments, Monsieur Patten, ne parle pas. Il n’a pas vraiment envie de s’épancher d’ailleurs, car le tableau qu’il dépeint ne laisse aucun doute sur la difficulté de la vie de letan lontan.

 

Un dur appprentissage

Les Patten sont une caste de bijoutiers dans l’Etat du Tamil Nadu dans le Sud de l’Inde. Le nom d’origine est « pather » en Tamil. A l’Ile Maurice on les appelle aussi « Patté » car comme c’est le cas pour beaucoup d’immigrants, l’officier d’état civil chargé d’enregistrer leur arrivée, a noté les noms comme il les entendait. Et il n’entendait pas toujours très bien.

Dans l’atelier de son oncle, derrière la mosquée Jummah, « travay ti bien dir ». Le travail était difficile. Les maîtres artisans, ses « profeser » étaient des tamouls de l’Inde. « Lanwit lizour asiz ar zot ».

Quand les maîtres artisans faisaient des manipulations compliquées, ils l’envoyaient faire une course hors de l’atelier pour l’empêcher d’apprendre les secrets de leurs techniques qui les rendait si indispensables.

Il ne mangeait qu’un repas par jour, le soir, qu’il courrait avaler chez sa mère avant de retourner à l’atelier pour dormir à même le sol. En tant qu’apprenti, il n’était pas payé. Le matin levé aux aurores à 4h. Après avoir bu un « dite pir », c’était lui qui était chargé de nettoyer l’atelier et tous les outils pendant 3 heures, avant l’arrivée des artisans. Chaque outil a sa place, l’atelier est parfumé à l’encens, aucune erreur ne sera toléré par ses patrons.

A l’époque, il utilisait un poukni, une soufflette, pour attiser le  foyer de charbon, et faire fondre l’or. Le gramme d’or ne coûtait alors que 7 roupies. Il s’époumonait jusqu’à ce que l’or fonde, et coule comme de l’eau. Il devait ensuite le laminer, à la main toujours, en tirant et écrasant l’or avec un marteau. Ce n’est que bien plus tard qu’il a pu acheter deux machines actionnées à la main, que son fils utilise toujours pour faire ce même travail.

Pour son travail il gagnait 25 sous par mois. Avec son salaire, il allait chez le coiffeur, s’achetait un savon pour laver son linge et donnait le reste à sa mère. Avec une fierté non-dissimulée,  il nous montre les motifs qu’il devait apprendre à fabriquer dans un vieux livre indien. « Ti bizin konn fer tou sa la ». Ce n’est pas un métier facile. Le bijoutier doit avoir beaucoup de patience, l’esprit calme et le geste sûr.

Après la mort de son oncle, dans les années 1970, le temps était venu pour monsieur Patten de voler de ses propres ailes et de fonder son atelier. Il a loué un emplacement dans Port-Louis et s’est mis à travailler à son compte. De la rue, les passants lui disaient « mofin lor ou », « soy ». En effet, derrière la cloison se trouvait « enn lakaz mor sinwai », un « kit lok ». Une salle funéraire où l’on garde les cadavres avant de les enterrer.

 

Traditionnellement, le métier de bijoutier est transmis de père en fils. Son grand père était déjà artisan bijoutier. Il a quitté l’Inde pour venir tenter sa chance à l’Ile Maurice. Aujourd’hui, le fils de monsieur Patten perpétue la tradition, mais après lui? «Mais que vont devenir toutes ces connaissances et ce savoir-faire?»

 

 

Les yeux humides, la gorge serrée, il ne répondra pas à notre question.