
Les joueurs de mahjong
La prochaine fois que vous vous promenez dans Port-Louis, prêtez l’oreille avec attention et vous entendrez des « clac-clac-clac », bruits secs qui semblent provenir d’au-dessus de vos têtes.
La capitale est remplie de ces salles qui appartiennent à des sociétés culturelles chinoises ou « clibs », situées au premier étage des immeubles. Les hommes d’un âge certain qui s’ennuient chez eux viennent y passer la journée, rencontrer leurs amis, leurs camarades de jeu.
Il n’est pas facile pour deux jeunes femmes d’entrer sans y être invitées dans ces clibs. Le jeu de mahjong dans les salles de jeux semble avoir mauvaise réputation, peut-être parce que c’est un territoire exclusivement masculin et parce qu’on y joue de l’argent. De petites sommes la plupart du temps, Rs 25 la partie.
Nous demandions à une dame si elle connaissait un endroit ou l’on pourrait apprendre à jouer au mahjong dans un « clib ». Elle n’en revenait pas et a trouvé notre demande très drôle, les femmes jouant plutôt chez elle, à la maison avec des amies dans l’après-midi.
Par chance ce jour là, chaperonnées, nous avons pu entrer dans une de ces salles de jeux.

De la rue, un petit couloir avec un panneau indiquant en caractères chinois rouges le nom de cette société. Au fond du couloir, il faut encore prendre un escalier. On rentre finalement dans une salle, au premier étage. Toutes les fenêtres sont ouvertes, un courant d’air frais offre un répit bienvenu de la chaleur accablante port-louisienne.
Sur une table rouge en bois, des enfilades de petits jetons, clac-clac-clac… le bruit sec des jetons jetés avec force sur la table. Des phrases échangées en mandarin, 5 hommes. Quatre jouent une partie autour de la table, le dernier observe le jeu et fait des commentaires.
A la télévision, avec le volume au maximum, des chansons en mandarin. De vieilles photos jaunies sont encadrées sur le mur. Elles représentent des groupes d’hommes, assis le dos bien droit, l’air solennel, un peu guindés. Des posters aux couleurs criardes, des roses poussiéreuses en plastique dans un vase sans eau. On se croirait dans une scène de film.
Les hommes ne s’interrompent pas à notre arrivée. Ils jouent, clac-clac-clac… échangent des phrases courtes, s’invectivent en mandarin.
L’un d’eux est en vacances à Maurice, il vit toute l’année au Canada avec ses enfants qui ont immigré. L’autre me fait penser à un vieux molosse qui se serait trop bagarré, il a un œil fermé pour toujours et il ne lui reste que 4 dents. Le troisième a chaud, il est torse nu.
Clac-clac-CLAC ! Le quatrième vient de gagner, il a retourné tous ses jetons. Les perdants s’acquittent de leur dette.
Ils refusent catégoriquement de nous expliquer le jeu, et chassent nos questions d’un revers de la main, comme on le ferait d’une mouche enquiquinante. La seule chose qu’ils nous diront c’est que ce jeu est une drogue.
Une autre partie recommence. Clac-clac-clac
