
Le dernier jour de "lotel dite Providence"
A PORT-LOUIS, UNE VISITE PAS COMME LES AUTRES
Le 31 mars 2017, Lotel dite Providence a fermé son volet pour la dernière fois… Avec lui, près de 60 ans d’histoire du quartier de la rue Desforges. Un chapitre se clôt. A my Moris, nous avions envie de conserver précieusement une trace de cette histoire. Des sons, des images et bien sûr, des mots. Vous nous direz peut-être, mais ce n’est pas de l’histoire avec un grand H. Et pourtant, il s’agit là d’un pan important de la vie des gens, et l’histoire d’un quartier.
En apparence, ce mercredi est un jour comme les autres à Lotel dite Providence.
Une petite échoppe, au long couloir sombre. Devant la porte, les pétarades assourdissantes des motocyclettes qui passent, les fumées des pots d’échappement des voitures trop vieilles, et les bus pleins à craquer de passagers. Port-Louis vit sa vie de capitale.
UN RESTAURANT POPULAIRE À PORT-LOUIS
Les pains maisons, gâteaux piments et autres baja sont en vitrine. Les habitués défilent, ils connaissent les gestes et les lieux par cœur. Un homme pioche un pain maison et le pose sur le comptoir. Pas besoin de lui demander ce qu’il prend, c’est tous les jours la même chose.
Omar coupe le pain en deux, tir laminn, le tartine généreusement de beurre presque totalement fondu, et le remplit de deux gato brinzel et deux gato pima. Le tout, posé dans une assiette de plastique rose fuschia, et avec ça… enn dite istrong !
Au tour de Suleman d’entrer en scène. C’est à l’arrière, dans la cuisine que ça se passe. La commande est arrivée; enn istrong ! Il s’affaire, les mêmes gestes tous les jours depuis 39 ans : deux cuillères de sucre, une louche de lait, verser le thé, tourner très vite la casserole en métal dans la bassine d’eau pour refroidir … et hop, il verse le thé dans la tasse. Une tasse de thé ni trop chaude, ni trop froide, et très sucrée.
Cela fait déjà 39 ans que Suleman travaille ici. Ce travail c’est toute sa vie… Il a commencé à l’âge de 11 ans comme commis, il balayait, et essuyait les tables… et puis l’ancien maître du thé s’est fait vieux. Il lui a transmis son savoir-faire.
Dans son antre, même l’air qu’on respire est sucré. Le lait bout sans arrêt, nuit et jour. C’est ce qui lui donne cette saveur si particulière. Le goût du thé de notre grand-mère.
Plusieurs fois par jour, avec une passoire, il retire la peau qui se forme sur le lait. C’est le malaï, qui servira ensuite à la fabrication du halwa, gateau sucré très apprécié des habitués.
Et après la fermeture que va-t-il faire ? Ses yeux s’embuent, il ne veut pas y penser, il a du mal même à y croire. Et pourtant, dans quelques jours, il ne se lèvera plus pour venir travailler ici.

UNE CUISINE TYPIQUE DE PORT-LOUIS
Un petit couloir étroit et sombre, peint en bleu vif. Quelques marches nous mènent dans la cuisine. C’est ici que Fasilha et Twaka préparent les spécialités de la maison. Elle est en train de rouler et de cuire des farathas. Il s’applique à former des boules de pâte de gâteaux piment, qu’il va ensuite faire frire.
Fasilha est émue aujourd’hui. Elle travaille ici tous les jours de 6h45 à 20h30. Elle nous fait l’éloge de ses cinq patrons, ses « bourzwa » comme elle les appelle. Ces cinq frères au grand coeur qui sont si prévenants et attachants. Elle a trouvé un autre emploi, mais la tristesse est là.
UN PETIT RESTAURANT D’HABITUÉS
A l’avant du restaurant, Mr Hansrod est arrivé. Plus qu’un habitué, cet homme âgé de 89 ans fait presque partie des murs. C’est un habitant du quartier qui tient un magasin de tissus sur la rue. Il vient à Lotel dite Providence tous les jours depuis son ouverture, en 1957. Il avait alors 29 ans. Il vient boire son thé, lire le journal, écouter la radio, et prendre un encas.
Il évoque avec nous ses souvenirs du quartier. A l’époque, toutes les maisons de la rue étaient encore en bois. On a du mal à l’imaginer aujourd’hui. Il se souvient qu’en 1960 pendant le cyclone Carol, il est venu en aide aux personnes réfugiées dans cette bâtisse en pierres. C’était alors le père de la famille Allykhan qui tenait les lieux avec son frère. Ses cinq fils étaient encore très jeunes.
Un autre habitué tient à me montrer une photo qu’il garde toujours dans son porte-feuille. C’est une photo de lui, en pantalon pattes d’éléphant et barbe, posant devant le comptoir de Providence il y a une trentaine d’années. Tout le monde s’esclaffe !
On dirait qu’ils se sont tous donné rendez-vous aujourd’hui pour partager un dernier moment et dire adieu à leurs souvenirs.
Azad le balayeur de Lotel dite, semble attendre quelque chose … « Tout à une fin » me dit-il.
